Question n°13359- 16ème législature.
Mme Joëlle Mélin interroge M. le ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire sur les préoccupations soulevées par l’organisation Terre de liens concernant l’avant-projet de loi sur le foncier agricole. Selon Terre de liens, les mesures actuelles semblent favoriser une approche orientée vers les investisseurs, avec un accent mis sur l’attractivité pour ceux-ci, notamment à travers l’ouverture aux groupements fonciers agricoles d’investissement (GFAI) et divers avantages fiscaux. Cette orientation pourrait potentiellement favoriser la financiarisation des terres agricoles et dessiner une agriculture sans agriculteurs, en mettant de côté les besoins et la réalité des exploitants actuels et futurs. Dans ce contexte, Mme la députée demande à M. le ministre s’il pourrait clarifier comment ce projet de loi envisage de soutenir concrètement les agriculteurs, en particulier les jeunes et les nouveaux entrants, face à cette tendance à la financiarisation ? Quelles sont les mesures envisagées pour garantir que les terres agricoles restent accessibles aux agriculteurs et ne deviennent pas un terrain de spéculation financière ? Elle lui demande enfin comment le Gouvernement compte intégrer les propositions de la société civile, notamment la création d’un observatoire opérationnel pour le foncier agricole, un cadre commun pour les SDREA avec des objectifs prioritaires clairs et le soutien aux initiatives foncières citoyennes non lucratives et non spéculatives.
https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/questions/QANR5L16QE13359
Réponse publiée le 26 mars 2024
Près d’un an après le lancement de la concertation sur l’avenir de l’agriculture française à l’horizon 2040, le détail du pacte d’orientation pour le renouvellement des générations en agriculture a été présenté le 15 décembre 2023. Cette réforme s’inscrit dans l’objectif stratégique de rebâtir la souveraineté alimentaire du pays en répondant aux défis du changement climatique et du besoin de renouvellement des générations d’actifs agricoles. Le pacte mobilise trois leviers : – faire de chaque installation une opportunité pour la souveraineté alimentaire et énergétique, en orientant le renouvellement des générations vers les secteurs stratégiques ; – faire de chaque installation une occasion d’accélérer les transitions écologique et climatique ; – favoriser des installations humainement, économiquement et écologiquement viables. Une partie des mesures sera traduite dans le projet de loi qui sera présenté le 29 mars 2024. Parmi ces mesures, figure effectivement la création des groupements fonciers agricoles d’investissement (GFAI). La difficulté d’accès au foncier, pour les futurs exploitants, en particulier ceux non issus du milieu agricole, est considérée de manière consensuelle comme un des freins à l’installation. En effet, il est souvent difficile d’acquérir le foncier et en même temps d’équiper l’exploitation en réalisant des investissements. Le dispositif du GFAI vise à faire porter l’investissement foncier par des tiers, dont le public, dont la nature sera, comme pour les groupements fonciers agricoles, strictement définie dans le code rural et de la pêche maritime. Les GFAI pourront ainsi drainer des capitaux vers l’agriculture afin de décharger les exploitants du poids de l’investissement foncier. Ils se substitueront alors aux agriculteurs pour acquérir et regrouper des terres et les mettre ensuite durablement à leur disposition dans le cadre très stable d’un bail à long terme. Cette stabilité sécurise l’exploitant et lui permet d’envisager des investissements productifs, notamment pour les transitions environnementales. Cette formule, qui conduit à dissocier la propriété de l’exploitation et celle du sol, peut être utilisée dans plusieurs cas, tels que le maintien sur son exploitation d’un fermier dont la ferme est mise en vente et qui n’est pas en mesure de financer seul l’acquisition ou l’installation d’un agriculteur sur une exploitation agricole. Des avantages fiscaux seront la contrepartie pour le propriétaire, qui met à bail son bien pour une durée importante. Ces dispositions fiscales permettront de rendre plus attractifs les GFAI compte tenu de la rentabilité modérée des investissements dans le foncier agricole. Cette mesure n’est toutefois pas la seule à aborder la question foncière. Ainsi, la mesure 25 du pacte précise que l’État investira, à titre d’investisseur avisé, 400 millions d’euros issus du fonds « Entrepreneur du vivant » dans les solutions de portage innovantes pour les exploitations agricoles. Confié à la caisse des dépôts – banque des territoires, ce fonds interviendra en prenant des participations dans des fonds de portage nationaux, comme terre de liens, ou régionaux qui, eux, achètent du foncier pour le mettre à disposition auprès des agriculteurs progressivement, et leur permettre de l’acquérir au moment de leur choix. La doctrine d’intervention est actuellement en cours de finalisation. Face à l’ampleur de la transition démographique et à la diversité des projets, le soutien au portage du foncier doit en effet être protéiforme pour mieux soutenir des initiatives existantes et complémentaires. Cette disposition répond donc au défi du renouvellement des générations, qui est majeur. Le pacte et la loi ont repris plusieurs demandes de la société civile, notamment la mesure 28 visant à modifier via une instruction technique les règles présidant à priorisation des cas dans les schémas directeurs régionaux des exploitations agricoles pour favoriser les pratiques agro-écologiques dans les zones humides et les aires prioritaires de captage et le maintien en agriculture biologique de terres déjà exploitées ainsi. Ces mesures correspondent également à un engagement du « Plan eau » annoncé par le Président de la République le 30 mars 2023 (mesure 24). Concernant la création d’un observatoire du foncier agricole, le Gouvernement finance le projet de réalisation d’un observatoire de l’artificialisation des sols, sur la base d’une description cartographique à grande échelle du type d’occupation des sols. Ce projet est porté par l’institut géographique national, l’institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement et le centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement, sous maîtrise d’ouvrage conjointe des ministères chargés de la cohésion des territoires et de l’agriculture. Enfin, la mesure 30 du pacte prévoit la création d’un groupe de travail sur l’évolution des baux ruraux au regard des enjeux de transition écologique et de renouvellement des générations. Ce groupe de travail se penchera notamment sur les moyens possibles pour favoriser le déploiement des baux ruraux à clauses environnementales, mais également sur les possibilités de passer d’un bail oral à un bail écrit pour les nouveaux preneurs, ce qui permettrait, outre une sécurisation juridique pour les parties, de mieux connaître les pratiques et d’avoir les bases pour mieux connaître et identifier les usages et pratiques autour de la détention de foncier agricole.