La Commission européenne a proposé, le 5 mai dernier, un règlement visant à contrôler plus étroitement l’accès au marché unique des entreprises étrangères qui bénéficient de soutiens publics étrangers (crédits d’impôts, subventions ou taux de prêt préférentiels), ce qui peut créer de facto des situations de distorsion de concurrence caractérisées à l’égard des acteurs économiques et industriels européens. En effet, ces derniers sont soumis à des dispositions règlementaires communautaires particulièrement draconiennes en la matière, leur interdisant toute forme d’aide similaire de la part de l’Etat membre dont ils sont issus.
Cette problématique est pourtant très ancienne et nous n’avons eu de cesse d’en dénoncer les causes depuis des décennies. Mais que de temps perdu… La Commission semble vouloir se saisir aujourd’hui d’un problème qu’elle a en partie provoqué ! En effet, après avoir, par ses diktats, contribué à organiser la liquidation de nos fleurons nationaux, pour beaucoup rachetés par des fonds étrangers ou délocalisés afin de rester compétitifs, comment imaginer que la Commission puisse être aujourd’hui le héraut d’une réindustrialisation de l’Union européenne ?
Ne boudons cependant pas notre plaisir, en voyant la Commission adopter un discours plus pragmatique ; à mettre probablement au crédit d’une crise du Covid 19 qui aura joué le rôle de révélateur cruel de l’état de dépendance avancée dans lequel notre continent se trouve. Mais ne soyons pas pour autant dupes devant la mise en scène de son chemin de Damas. La Commission n’ira jamais jusqu’au renoncement (pourtant nécessaire) du sacro-saint dogme de « la concurrence libre et non faussée », alpha et oméga de la construction européenne et fossoyeur historique de notre puissance économique et industrielle. Ces nouvelles orientations ne sont qu’une opportunité pour la Commission de renforcer ses pouvoirs d’immixtion au détriment des Etats : il y est ainsi prévu que le contrôle de l’application de ce règlement soit de son ressort exclusif. Elle pourrait dès lors s’autosaisir, interdire certaines opérations ou infliger des amendes… Après avoir limité drastiquement, pendant des décennies, les capacités d’intervention des États dans leurs propres économies sous prétexte de vouloir préserver la libre concurrence, la Commission s’octroie maintenant des prérogatives renforcées, lui permettant de se substituer à ces mêmes États.
« Les avantages injustes octroyés au moyen de subventions sont un fléau pour la concurrence internationale depuis longtemps »
Monsieur Valdis DOMBROVSKIS – Commissaire européen au Commerce
La question du soutien des États membres à la compétitivité de leurs entreprises reste cruciale, urgente et vitale. L’inflexion de la doctrine de la Commission est un leurre. Nous connaissons mieux que quiconque son aversion génétique à l’égard de toute forme de patriotisme ou de protectionnisme économiques, pourtant vecteurs essentiels de toute politique de puissance, appliqués partout ailleurs dans le monde. Les États membres doivent absolument recouvrer la possibilité légale et souveraine de déterminer librement les secteurs d’activités à soutenir ou d’aider des entreprises qu’ils identifient comme stratégiques. La mise en place de soutiens publiques et fiscaux ne doit relever que de leurs ressorts ! Le soutien public de certains acteurs économiques et industriels est nécessaire pour les (ré)armer dans la compétition internationale. Les enjeux sont historiques : conservation des emplois, maintien et développement des secteurs stratégiques, protection des innovations, indépendance nationale et politique de puissance.
Nous espérons que ce règlement pourra être l’opportunité de faire tomber les masques sur les véritables intentions de la Commission et de revoir en profondeur les règles imposées aux États membres dans ce domaine, dans le respect des principes de subsidiarité et de souveraineté. Nos députés feront des propositions concrètes en ce sens dans les différentes commissions parlementaires qui concourront à l’élaboration de ce règlement.
Joëlle MÉLIN