La Ciotat Shipyards : Repenser la réindustrialisation de la France 40 ans après la fin des chantiers navals

En cette fin juillet, au cœur de l’été, j’ai eu l’occasion de rencontrer Monsieur Jean-Yves Saussol, Directeur général de La Ciotat Shipyards, et d’échanger longuement avec lui sur la situation de l’ancienne SEMIDEP, ses perspectives de développement et ses axes stratégiques pour y parvenir.

Pour comprendre la relation particulière qui lie les Ciotadens au chantier naval et le rôle majeur que ce dernier joue dans la ville de La Ciotat, un rapide historique s’impose.

Le lien entre La Ciotat et la construction navale est ancien (depuis le XVe siècle). Le commerce, avec les colonies et la révolution industrielle, ont favorisé la construction navale, les innovations et les emplois. Les chantiers navals prendront différents noms : Messageries maritimes, Société Provençale de Constructions Navales (SPCN), les Chantiers Navals de La Ciotat (CNC).

Les Chantiers navals construisent alors d’immenses pétroliers ou méthaniers au rythme de 1 par an en moyenne, avec les fameux lancements et « la vague » qui submerge les quais de la Mairie de l’époque. C’est alors une vraie fierté pour les Ciotadens et une identité forte de La Ciotat. En 1973, le Chantier est à son sommet et emploie 5.000 ouvriers.

En 1978, le choc pétrolier et la concurrence de l’Asie entraînent les premiers licenciements. Puis en 1982, la création par les pouvoirs publics, de la structure NORMED, réunissant les chantiers navals de Dunkerque, la Seyne et La Ciotat, mal conçue et mal gérée, provoqueront la fermeture du CNC le 31 juillet 1988, un vrai traumatisme pour la ville. Débute alors la fameuse épopée des « 105 » : des irréductibles qui veulent sauver le site. Des ouvriers qui se battent pour maintenir une activité industrielle à La Ciotat et éviter le « tout tourisme ». Leurs efforts portent leurs fruits : le 17 août 1994, le conseil général des Bouches-du-Rhône, la Région PACA, la Métropole Aix Marseille et la Ville de La Ciotat créent la SEMIDEP (Société d’économie mixte de développement économique et portuaire). En 2000, un projet solide de réindustrialisation durable du site est mis sur pieds : le chantier ambitionne de se tourner vers la haute plaisance, toujours sous l’œil attentif du collectif des « 105 ».

En 2018, La Ciotat Shipyards remplace la SEMIDEP afin de marquer l’internationalisation du site.

Aujourd‘hui La Ciotat Shipyards est un acteur majeur du refit (modernisation) et du repair (réparation) de yachts. Son activité représente 8 à 10% du marché mondial du secteur. Une centaine de yachts de plus de 50m, soit 1/7e de la flotte mondiale, passe chaque année entre les mains des sociétés qu’elle héberge.

La Ciotat Shipyards est partie d’un constat : le lowcost se développe même dans le secteur du yachting (Turquie) ; et d’un pari : la flotte de yachts de plus de 50m est celle qui va connaître dans les années à venir la plus forte augmentation. La Ciotat Shipyards a donc décidé de se positionner plus spécifiquement sur le secteur des super et méga yachts, d’où la mise en place actuelle d’un ascenseur à bateaux de 4300T (nommé Atlas) ; afin de pouvoir concurrencer dans le bassin méditerranéen Gênes et Barcelone. La Ciotat Shipyards se dote dans le même temps du « LCS yachting village » regroupant la plupart des corps de métier de la filière afin de créer un écosystème complet.

Concernant sa structure juridique et son modèle économique, La Ciotat Shipyards est une originalité dans le monde du yachting. En effet, elle est exclusivement détenue par des actionnaires publics : les collectivités locales (Département des Bouches-du-Rhône, Métropole Aix Marseille, Région PACA, Ville de La Ciotat).

En tant que Conseillère régionale, mais également en tant que citoyenne, j’ai beaucoup suivi les débuts de la SEMIDEP et ses atermoiements. Cette visite m’a permis de constater le chemin parcouru depuis.

En tant que député européen membre des commissions ITRE (Industrie) et ENVI (Environnement), et aussi en tant qu’élue locale de longue date, je suis, bien entendu, particulièrement intéressée par cette entreprise de réindustrialisation qui vise à concilier objectifs économiques et enjeux environnementaux.

Si je ne puis me prononcer bien évidemment sur tous les tenants et les aboutissants des chantiers de La Ciotat Shipyards, il me semble important de soutenir la réindustrialisation de notre pays, préalable nécessaire au développement de nos savoir-faire, au maintien de nos emplois et au redressement de nos finances publiques.

Cette réindustrailisation ne doit pas se faire à  n’importe quelle condition et il est bien évident que la dimension environnementale doit être largement prise en compte. Nous savons trop, du côté de l’Etang de Berre, les difficultés écologiques et mêmes sanitaires que génèrent certaines entreprises. Une position équilibrée, entre les aspects sociologiques, écologiques et économiques, doit pouvoir se trouver, notamment, lorsque les acteurs publics sont à la manœuvre, comme c’est le cas pour le port de La Ciotat avec les collectivités locales ou pour le port de Marseille avec l’Etat. L’intérêt général doit constituer le fil rouge des axes stratégiques.

Il m’apparait notamment important d’insister sur la formation, au sens large, qu’elle soit initiale ou continue. Les Ciotadens, pour renouer avec le début mon propos, doivent pouvoir vivre et travailler à La Ciotat, aux chantiers navals de leur ville. Il faudra se questionner également sur le modèle économique des différentes formes de partenariat public-privé. Est-ce que la structure juridique de La Ciotat Shipyards est adaptée ? Exportable ? Applicable à quelle échelle ?

Aujourd’hui, les moyens financiers sont détenus par le privé. C’est une réalité qui s’impose à nous. La puissance publique ne pourra donc mener à bien des projets coûteux qu’en s’associant à des entreprises privées, sans pour autant sacrifier l’intérêt général mais, au contraire, en le garantissant. C’est notamment vrai pour les questions écologiques.

Je pense qu’une grande réflexion est à mener, au niveau régional mais aussi national afin de ne plus opposer les secteurs privés et publics mais en les faisant travailler ensemble.