Un rapport sur une nouvelle stratégie industrielle pour l’Europe a récemment été voté à une large majorité au Parlement européen. Je m’y suis opposée et je vais vous expliquer pourquoi.
Le rapport en question, émanent du Parlement, s’adresse à la Commission européenne et vise à lui donner une feuille de route pour des législations à venir : l’Union européenne a besoin d’une nouvelle stratégie industrielle plus conforme à l’objectif de neutralité climatique qu’elle s’est fixée pour 2050 et doit concilier une double transition écologique et numérique avec le maintien voire la création d’emplois de qualité. Cette nouvelle stratégie aurait également pour but de renforcer le leadership mondial de l’Europe et de réduire sa dépendance aux pays tiers dans les chaînes de valeur stratégiques, des objectifs qui font bien évidemment l’unanimité et que je soutiens.
Cette nouvelle stratégie industrielle pour l’Europe se déroulerait en deux temps : une phase de relance et une phase de transformation et de reconstruction.
Une Phase de relance pour ouvrir l’ère florissante de « l’après-COVID » ?
Celle-ci serait financée par l’initiative Next Generation EU – le plan de relance européen de 2020.
Le programme est alléchant :
– Des objectifs en matière d’investissements sociaux, durables et numériques ;
– Une priorité aux PME qui ont été les plus durement touchées par la crise ;
– La reconnaissance des spécificités des États membres ;
– Un soutien particulier aux entreprises qui contribuent à la croissance à long terme et qui ont un fort potentiel de relance économique ;
– Un accompagnement des régimes fiscaux nationaux qui encouragent les prises de participation du secteur privé et qui permettent aux entreprises de convertir en fonds propres une partie de leurs prêts.
Parallèlement, le rapport salue les mesures prises par l’Union pour aider les États membres à financer les dispositifs de chômage partiel et à préserver l’emploi pendant la crise du COVID.
Une Phase de transformation et de reconstruction : La transition écologique et numérique pour renouveler le secteur industriel ?
Le rapport précise bien que Next Generation EU devrait être maintenu sous la forme d’un « Fonds de transformation et de reconstruction » destiné à faciliter la double transition évoquée plus haut : accompagner la transition environnementale et numérique tout en renforçant la compétitivité à long terme et la résilience de la société et de l’économie.
La Commission est ainsi invitée à stimuler la demande intérieure et la croissance à long terme de l’Union en attirant davantage d’investissements compatibles avec les objectifs du Green Deal – le pacte vert pour l’Europe.
Par ailleurs, le rapport incite la Commission à redéfinir le marché concurrentiel dans différents secteurs industriels, à revoir les règles antitrust de l’Union et à évaluer régulièrement la compétitivité des différents secteurs de l’industrie de l’Union par rapport à ses principaux concurrents mondiaux. Il est également question d’améliorer l’accès des entreprises européennes aux marchés internationaux tout en empêchant certains acteurs internationaux d’abuser de leur position dominante.
Enfin, le rapport propose une réciprocité dans l’accès aux marchés, un renforcement du filtrage des Investissements Directs Etrangers (IDE) dans l’Union et l’interdiction temporaire des rachats d’entreprises européennes de secteurs stratégiques par des entreprises publiques – ou liées au gouvernement – de pays tiers.
Derrière un discours attrayant, la continuité des fondamentaux de l’Union
Tous ces aspects semblent extrêmement favorables à la défense de nos intérêts, de nos entreprises, de nos emplois et plus largement de notre économie. Nous pourrions nous réjouir de voir nos idées reprises par une majorité de députés de toute formation politique. Cependant, le rapport s’accompagne d’autres recommandations qui révèlent ses véritables orientations, notamment la défense d’un système commercial multilatéral ouvert.
Il est important de comprendre que le maintien d’un « marché ouvert » (sic) rend toutes les mesures énumérées précédemment – que nous défendons depuis longtemps – totalement inopérantes.
Le seul bénéfice de ce texte est de démontrer que « nous avions raison trop tôt », que nos propositions sont en réalité les seules à pouvoir assurer notre survie économique à l’échelle mondiale, et que nos idées sont majoritaires en Europe – au sein des entreprises et parmi l’ensemble des citoyens.
Nous devons donc rester lucide face aux solutions proposées par les responsables de la situation actuelle : ils utilisent nos mots pour éviter la contestation des électeurs tout en continuant finalement à imposer le même agenda !
Pas de réindustrialisation possible dans un marché ouvert
Le triptyque présenté : (1) digitalisation, (2) rationalisation, et (3) harmonisation se traduira en réalité par (1) une augmentation du pouvoir des GAFAM américains (Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft) et des BATX chinois (Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaomi) (2) des restrictions des libertés publiques et de la liberté d’entreprendre et (3) la poursuite de la désindustrialisation de l’Europe.
Autre point important : la nouvelle stratégie proposée s’appuie essentiellement sur la dette contractée pour la relance européenne : elle justifiera plus tard des ressources propres à l’Union européenne – donc des impôts supplémentaires pour les Européens et des harmonisations fiscales en perspective – soi-disant pour rembourser ses créanciers alors que chacun sait qu’ils ne le seront jamais.
Sans un changement de cap radical, l’Union européenne ne peut s’éviter les conséquences de la mondialisation des échanges : l’effondrement de nos capacités industrielles provoqué par des délocalisations organisées, elles-mêmes orchestrées par la fameuse division internationale du travail (DIT), héritée du modèle de Heckscher-Ohlin-Samuelson, lui-même fondé sur la théorie des avantages comparatifs de David Ricardo…
Si la désindustrialisation de l’Europe n’est pas une fatalité, elle est le résultat d’une inspiration ancienne et son procédé est largement avancé. La réindustrialisation de l’Europe, et notamment de la France, ne se fera qu’avec d’autres bases que celles qui ont mené à sa désindustrialisation.
Joëlle MÉLIN